Terrence Malick : pourquoi c’est bien.

 

« Les films de ce type sont certes esthétiques, mais chiants à mourir ! » « Par pitié, arrête le cinéma ! Tu me saoules ! » « Ennuyeux... Faut se mettre au court métrage ou au clip mais par pitié qu'il arrête les films et longs métrages... » Ces commentaires issus de la page réservée à Terrence Malick sur le site AlloCiné s’opposent à ceux qui considèrent le réalisateur comme « l'un des plus grands réalisateurs en activité. Un génie ! » Une chose est sûre, il divise. Il y a ceux qui aiment et ceux qui détestent. Pas de demi-mesure.

 

Nous n’allons pas parler de sa vie car nous savons peu de chose sur lui et dans le fond, OSEF ! Ce qui compte ce sont ses films car c’est à travers eux qu’il nous parle. Malgré tout, le site AlloCiné vous propose une biographie honnête et pas longue à lire si ça vous branche. La question de la biographie étant évacuée nous pouvons commencer.

Alors, Terrence Malick, pourquoi c’est bien ? Et bien ça ne l’est pas. Comprenez que tout ce qui a trait à l’art relève du subjectif : ce qu’on aime et ce qu’on n’aime pas. Cela s’appelle le goût, en matière d’art mais aussi en matière alimentaire, de loisirs, d’amis, de collègues et de partenaires sexuels parce que oui, on ne va pas renifler le cul de n’importe qui comme on ne va pas payer 10 € une place de cinéma pour voir n’importe quoi. Quoique…

Bref, cet article n’a pas la prétention de vous faire changer d’avis. Sa prétention est autre : vous expliquer pourquoi d’autres (dont moi) aiment ce réalisateur et son cinéma.

On aime parce que, à l’image d’une musique qui nous donne la chair de poule, ce cinéma nous transmet des émotions, de la poésie, du lyrisme. Bref, ça chatoie dans nos yeux et nos cœurs. Ça chatoie mais pas que. Ses films sont intelligents et allons-y avec les gros mots : ils donnent à réfléchir et ça, aujourd’hui, c’est vilain. Pensez-vous ma bonne dame, des films qui poussent à se poser des questions sur notre existence, nos actions et surtout sur les conséquences de nos actions. Ah non !

 

Pas de ça chez nous. Vous reprendrez bien une belle tranche de cinéma insipide à base de super-héros bidons sévèrement assaisonnée de télé réalité et de manichéisme ?

Pour bien comprendre le cinéma de Malick il faut comprendre que ses films sont avant tout des expériences, des voyages où il faut se laisser aller. Le problème est que le spectateur lambda n’est pas/plus habitué à cela. Il consomme. Il achète son ticket et quelque cochonnerie surcalorique, pose son fessier dans un fauteuil élimé et consomme son film pour échapper à une société d’où suinte doucement l’ennui. Reprenons. Terrence Malick nous propose un voyage qui part d’histoires individuelles vers quelque chose d’universel. Et ce n’est pas tout le monde qui peut s’attaquer aux mythes universalistes sans se vautrer lamentablement.

 

 

Malick parvient à exploiter l’universel sans être grandiloquent en utilisant plusieurs « astuces » comme le décalage temporel : ses films se déroulent rarement à notre époque. Depuis BALADE SAUVAGE jusqu’à L’ARBRE DE VIE (en français dans le texte !), ce décalage permet au réalisateur quelques libertés. Seuls A LA MERVEILLE et le futur KNIGHT OF CUPS (pour le coup « le chevalier des tasses » fait vraiment naze, on pourrait lui préférer « le roi de la nuit ou de la fête ») se passent de nos jours. Ensuite il y a la recherche de l’esthétique, du beau. Voici les mots de Christian Viviani qui expliquent parfaitement cette quête :

« […] il y a une approche totalement désinhibée de la recherche de la beauté. Malick est quelqu’un qui recherche le Beau, le Beau au sens ancien, celui qu’il pouvait avoir pour les artistes de la Renaissance par exemple ; l’équilibre, entre le ciel et la terre, entre l’ombre et la lumière, entre une couleur et une autre, la grâce de la posture d’un acteur, soit des questions qui pour d’autres cinéastes, plus ancrés dans leur temps, sont très souvent secondaires parce que l’action prime. »

Oui, Terrence Malick cherche ce qui est beau. Celui qui ne s’est jamais arrêté pour regarder un lever ou un coucher de soleil, par exemple, ne peut aimer ce cinéma. Si vous n’êtes pas ce genre de personne, ce cinéma n’est pas pour vous. Une petite précision, ne prenez pas cela pour un jugement de valeur, c’est juste un fait. Nous ne sommes pas tous taillés pour les mêmes choses, cela s’appelle la diversité et cela est bon. La beauté qui plaît à Malick et à ses aficionados est justement cette tapisserie de formes et de couleurs qu’est le monde. Vous n’aimez pas le cinéma de Malick et bien c’est ce que celui-ci aime justement chez vous. La beauté du monde repose sur cette diversité, n’en déplaise à ceux qui veulent réunir le monde dans un seul moule, le leur. Après, ce n’est pas un cinéma engagé. Encore que…

De beaux plans, de longues séquences ou des plans rapides à l’image de ce plan tiré de LA LIGNE ROUGE où l’on voit les GI se faire hacher au 88 autrichien par des Japonais en Mélanésie. Au milieu de ce chaos virevoltent joyeusement deux magnifiques papillons bleu turquoise. L’équilibre une fois de plus.

 

Mais cet équilibre visuel est accompagné d’un autre équilibre : celui du son. Martin Barnier a bien expliqué la démarche du réalisateur :

« Après avoir vu LA LIGNE ROUGE, le spectateur se souviendra sûrement des voix des soldats qui se posent délicatement sur les images. Mais la plus grande partie du son de ce film se compose de musique et de bruits. Les oiseaux jouent un rôle prépondérant chez Terrence Malick. Passionné par l’ornithologie, il a souvent cherché à être le plus précis possible sur chacun des chants d’oiseaux qu’il place dans ses films. Lors du tournage du NOUVEAU MONDE, il a reconstitué le son de la nature telle qu’elle existait dans l’Amérique précoloniale. Avec un ornithologue, il a recréé des chants d’oiseaux disparus aux Etats-Unis, en enregistrant l’espèce aujourd’hui la plus proche. Malick fait partie des rares cinéastes explorant attentivement toutes les possibilités de la piste son. Il pense réellement le son de ses films en fonction de ce que doit ressentir le public. Déjà, dans LES MOISSONS DU CIEL, le réalisateur avait placé avec précision des bruits de vent qui donnaient au film une certaine légèreté, mais aussi une force, et qui mettaient le spectateur à la place des personnages. »

En érudit, Terrence Malick est un puits de science en matière de musique classique. Alexandre Desplat, compositeur de la musique de L’ARBRE DE VIE a lui-même expliqué qu’en travaillant avec Malick, il savait qu’il allait devoir s’éclipser au profit d’un Bedrich Smetana et de sa Moldau pour ne citer qu’un exemple.

Terrence Malick est américain et la prégnance de la culture américaine dans son travail est importante. Il est adepte de « l’américana » c’est-à-dire du quotidien typique américain, ce quotidien que l’on retrouve dans toutes les productions d’outre manche que ce soit dans le cinéma, la télévision mais aussi dans la littérature. L’ARBRE DE VIE en est un très bon exemple. Les thématiques sont ultras connues : le rapport à la terre américaine, à l’histoire américaine, à la littérature américaine :

  •  BALADE SAUVAGE et le couple en fuite à la Bonnie et Clyde.
  •  LES MOISSONS DU CIEL et la crise des années 30.
  •  LA LIGNE ROUGE et la Bonne Guerre.
  •  LE NOUVEAU MONDE et le mythe de la fondation même du pays.
  •  L’ARBRE DE VIE et la middle class.
  •  A LA MERVEILLE et l’american way of life.
  •  LE CHEVALIER DES TASSES ? Eh bien nous verrons.

Naturellement, en bon américain, les références bibliques sont présentes parfois subtilement, comme le rôle de prophète touché par la grâce interprété par un Jim Cazievel en transe dans LA LIGNE ROUGE, parfois directement comme le rôle tenu par Javier Bardem dans A LA MERVEILLE où il campe un prêtre en pleine crise de foi (pardon).

Enfin, on ne peut dissocier Terrence Malick d’une certaine philosophie. Soyons honnêtes, il est parfois un peu difficile de comprendre où il va. Beaucoup ont été traumatisés par L’ARBRE DE VIE, où nous passons d’une famille américaine classique des années 60 à la création de l’univers. On quitte Brad Pitt pour les dinosaures. Transition violente.

Quelqu’un m’a raconté la scène suivante : lors d’une séance, certains spectateurs riaient, d’autres quittaient la salle avec le même constat pour tous, ce film est une daube. Je lui ai demandé pourquoi ce film était mauvais. Aucune explication. Juste un haussement d’épaule, un sourire narquois et la certitude que c’était nul. Une critique sur la photographie, la musique, le jeu d’acteurs ? Non. Juste l’incompréhension. Voir un film de Terrence Malick demande une certaine discipline, ça demande d’être prévenu. Oui, on en revient à ce qui était écrit plus haut : il faut réfléchir et se laisser aller.

Autant être honnête avec vous. Lorsque j’ai acheté le Blu-ray d’A LA MERVEILLE, j’ai mis environ 6 semaines à me décider à le regarder. La raison ? La même qui explique pourquoi j’ai mis environ le même laps de temps pour me décider à regarder KOYAANISQATSI. Il fallait que je sois dans le bon état d’esprit. On en revient au propos initial, il faut un peu de discipline pour ce genre de cinéma.

Prenons comme exemple A LA MERVEILLE. De prime abord, il peut paraître long, lent, ennuyeux. Olga Kurylenko a l’air d’être constamment sous ecstasy, Ben Affleck livre une prestation proche d’un ours mal léché neurasthénique. Pourtant, c’est le film le plus intime du réalisateur. C’est dans celui-ci qu’il se dévoile de la manière la plus directe. L’Américain qui rencontre une Française qu’il épouse et qu’il finit par quitter pour un amour de jeunesse, c’est l’histoire de Terrence Malick.

« Mais le cinéma est là pour qu’on se détende, pas pour se prendre la tête ! » A cela, voici deux réponses :

  • Où est-il écrit qu’il faut que le cinéma ne doive être que du divertissement ? Comme tout ce qui relève de l’art, il y a des œuvres facilement compréhensibles et d’autres qui nécessitent un bagage plus conséquent pour les apprécier. Comme le vin.
  •  Depuis quand réfléchir est se prendre la tête ? Apprendre est ce qui élève l’être humain, sans cela nous serions toujours dans des grottes à taguer les parois avec de la crotte de mammouth.

Si tout se déroule comme prévu, le 25 novembre 2015 sort LE CHEVALIER DES TASSES (en fait, j’aime bien). Si vous avez envie de vivre une expérience cinématographique différente de ce qui est proposé depuis longtemps, je vous invite à aller voir ce film. Laissez-vous porter par la poésie de Malick. Profitez de l’esthétique. Laissez-vous embarquer pour un voyage inattendu. Si ça ne vous emballe pas, eh bien passez votre chemin. Il y a pleins d’autres films et d’autres expériences cinématographiques qui vous attendent.



 Rédigé par Tendance Mordant

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