Utopiales 2018 : Interview de John Scalzi, de la plume à l'écran

 

Lors du festival des Utopiales 2018, à Nantes, nous avons eu la chance de rencontrer l’auteur de science-fiction américain John Scalzi. De la science-fiction parodique (Redshirts) à une plume plus sombre (Les enfermés), John Scalzi est une référence du genre publié en France par la maison d’édition nantaise l’Atalante. Sa série la plus longue devrait voir son premier tome, le Vieil homme et la Guerre, adapté prochainement par Netflix.

 

 

SSA - John Scalzi, vous êtes l’auteur de nombreux romans. Votre plus longue série commence avec Le Vieil homme et la Guerre dont l’adaptation Netflix devrait voir le jour bientôt. Quand peut-on espérer la voir ?

 

J.S - On verra ! Ça dépendra de si Netflix aime ou non le script. Pour l’instant, nous en sommes à l’étape ou les scénaristes ont terminé le script. Je ne l’ai pas encore lu, car j’ai fait une tournée avant de venir ici. Mais j’ai vu la façon dont il a été pris en main et j’en suis plutôt content. Ce qui n’arrive presque jamais.

 

Ce qui va se passer, c’est qu’ils vont donner le script à Netflix et que Netflix dira soit oui, et on commencera la production, soit non et il faudra le réécrire ou bien ils abandonneront le projet. Le fait est que lorsque votre travail est sélectionné pour en faire un film ou une série, cela peut être très excitant, mais qu’il y a de nombreux moments où tout peut juste tomber à l’eau. Ce que je veux dire c’est que Le Vieil Homme et la guerre est en développement depuis dix ans et qu’au début, ça devait être un film Paramount Pictures et qu’ensuite, quelques années plus tard, ça devait être une série pour une chaîne de science-fiction. Et maintenant, ça va être un film pour Netflix. Donc, vous voyez, il faut le croire seulement quand ça arrive vraiment et pas en amont.

 

Pour moi, ça a été à la fois frustrant, parce que j’adorerais voir mon œuvre devenir un film, mais de l’autre coté, je préfère prendre le temps, bien faire et avoir au final quelque chose de bon et non seulement quelque chose qui est juste jeté là pour faire de l’argent. Donc on verra, on verra comment les choses tournent.

 

 

SSA - Donc vous ne pouvez pas nous dire s’il y aura d’autres films ?

 

J.S - C’est ça. Ce qui va se passer, c’est que si le premier film est un succès, alors ils en feront d’autres et que si ce n’est pas le cas, ils me diront « merci, au revoir ». Mais nous avons d’autres choses en développement. La série The Collapsing Empire est aussi en développement et nous avons d’autres choses qui sont sous option et pour lesquelles on verra bien ce qui va se passer. Et puis, j’ai beaucoup de livres donc nous avons beaucoup de chances, non ?

 

Votre travail c’est d’écrire votre roman et de le faire bien.

 

SSA - Oui. Est-ce que vous avez toujours imaginé voir vos histoires à l’écran ?

 

J.S - Le fait est que, lorsque vous les écrivez, vous écrivez un roman et vous ne vous inquiétez pas de savoir si ça deviendra une série ou un film ou s’ils vont en faire une bande dessinée ou un jeu vidéo. Vous ne pouvez pas vous inquiéter d’autre chose que de l’écriture. Vous devez vous concentrer sur votre travail et votre travail c’est d’écrire votre roman et de le faire bien. Et si ça finit par devenir autre chose, c’est génial, mais, vous savez, si vous vous concentrez sur l’écriture et sur le fait de faire quelque chose de bien, peu importe ce qu’il se passe, le roman est toujours là et il se suffit à lui même comme quelque chose de qualité.

 

Je veux dire, j’aime les films, j’aime les séries. J’étais critique de films. Mon premier boulot après la fac était critique, donc j’ai regardé des films pour gagner ma vie. Alors ce serait amusant de voir quelque chose qui m’appartient devenir un film. Mais si ça n’arrive jamais, le livre est toujours là et le livre est toujours bon. Et c’est ça mon boulot et c’est tout ce qui m’importe.

 

 

SSA - Avez-vous votre mot à dire en ce qui concerne l’équipe et les acteurs ?

 

J.S - Pour les projets qui sont actuellement en développement, je suis producteur exécutif, ce qui peut vouloir dire tout et n’importe quoi. Cela peut vouloir dire que je suis très impliqué. Pour certains projets, c’est ce que ça veut dire, pour d’autres ça veut juste dire que l’on me donne plus d’argent.

 

Pour Le Vieil Homme et la Guerre, ils doivent me tenir au courant à chaque étape et à chaque étape, je leur donne mes impressions. Par exemple, j’ai suivi le développement du script et je pourrais le lire quand je rentrerais à la maison. Et si on arrive au point où il faut choisir le casting, j’aurai mon mot à dire.

 

Ce qui est important à ce propos, c’est que quand vous avez un film ou une série en développement, vous essayez de travailler avec des personnes que vous pensez être douées dans leur domaine, sinon vous feriez leur boulot.

 

Ce que je pense, c’est que j’aurais toujours la possibilité de dire quelque chose, mais que c’est leur travail et qu’ils sont vraiment bons donc il faut les laisser faire. J’aimerais toujours, quand on parle de films ou de séries, être la personne la moins compétente de la pièce. Je veux que tout le monde soit super intelligent et sache ce qu’il fait et me fasse dire « Wow, c’est vraiment bien. » Alors je ne dois pas être la personne qui dit « fais ceci, fais cela ». Je devrais seulement être la personne qui dit « c’est vraiment intelligent ce que vous faites et j’approuve ».

 

Alors, oui, ils me laisseront voir l’équipe, voir le casting. Je pourrais donner des recommandations, mais au final ce sera une décision d’équipe et pas seulement la mienne.

 

J’aimerais toujours, quand on parle de films ou de séries, être la personne la moins compétente de la pièce.

SSA - OK ! Est-ce que vous rêvez d'une équipe de tournage en particulier?

 

J.S - Non ! Je ne fais pas ça. Et la raison, c’est que, peut importe quand vous le faites, si je pense à des personnes en particulier maintenant, le film pourrait mettre, un an, deux ans, trois ans à se faire et certaines des personnes qui seraient pressenties maintenant ne le seraient plus.

 

En plus, je pense au Vieil Homme et la guerre où les personnages sont censés ressembler à des jeunes de vingt, vingt-trois ans. Ce serait donc toute une génération d’acteurs que nous n’avons pas encore vus à l’écran.

 

La seule chose que je dis, c’est que ça (montre une photo de sa femme sur son téléphone), c’est ce à quoi Jane Sagan devrait ressembler parce que j’ai créé Jane avec ma femme pour modèle. Mais à part cette seule demande, le casting sera ce que l’équipe décide. Si on arrive à ce point, avant de penser au cast, je commencerais à penser aux réalisateurs et, vous savez, aux membres de l’équipe de production.

 

Je dirais juste qu’une chose que l’on aimerait, quand je rencontre les producteurs qui travaillent sur le Vieil Homme et la Guerre, serait de ne pas forcément chercher des têtes d’affiche connues. Nous préférerions je préférerais, que nous prenions des gens qui seraient vraiment excités par le projet et qui voudraient vraiment le faire leur, qui le verraient comme leur chance et non comme simplement un autre boulot. Donc, si on peut avoir des petits nouveaux qui veulent monter, entrer dans la cour des grands, ce serait préférable à des acteurs qui ont déjà des récompenses et ne voient ce projet que comme un autre travail.

 

Quelque un qui serait comme George Lucas était à Star Wars ou James Cameron était à Terminator ou à Alien, plutôt que ce que ce dernier était au moment d’Avatar. Vous comprenez? Mais cela rend aussi très difficile le fait de choisir quelqu’un parce que cela peut, encore une fois, changer du jour au lendemain. Aussi, aux États-Unis actuellement, il y a le problème qui se pose de la diversité dans les équipes de tournage, le casting, etc. Et je soutiens cela donc je voudrais voir des personnes que l’on ne voit pas habituellement dans la chaise du réalisateur ou du directeur de la photographie. Là encore, les suspects habituels.

 

SSA - Nous savons que vous avez été consultant sur la série Stargate Universe. Pensez-vous que vous aurez la possibilité de passer du temps sur le plateau ?

 

J.S - Ça dépendra, encore une fois, de quel niveau d’implication de ma part ils auront besoin. Comme producteur exécutif, je serai impliqué et j’aurai à aller sur le plateau et je serai « wow, tout ça, c’était dans ma tête ! » Mais il ne faut pas oublier que mon travail principal, c’est d'écrire des romans. J’ai un contrat de treize livres. Il faut que je rende treize livres sur une période de dix ans, donc cela doit toujours passer en premier. Je ne pourrais donc pas passer beaucoup de temps à traîner sur le plateau de tournage, en étant émerveillé. C’est le travail de quelqu’un d’autre.

 

Mais je serai impliqué. Je serai là pour la préproduction, pour le casting, quand ils tourneront la première scène. Et je serai toujours disponible en cas de problème ou de question. Ça arrive souvent quand je rentre à la maison. Par exemple, quand je reviendrai de France, j’aurai au téléphone mon avocat et certaines personnes de Netflix pour revoir de petits détails du contrat. Et c’est une chose pour laquelle ils ont besoin de ma présence, donc je serai là. Parfois, mais pas toujours.

Il faut toujours être prudent quand on dit quelque chose comme « je suis féministe ».

 

 

SSA - Très bien. Vous avez dit être un féministe, peu d’hommes le feraient malheureusement… (rires de J. Scalzi) Est-ce que vous espérez changer la façon de voir de certains machos fans de science-fiction quand vous écrivez ?

 

J.S - Non… Vous savez, ça va être une réponse compliquée… Il faut toujours être prudent quand on dit quelque chose comme « je suis féministe », n’est-ce pas ? En partie parce que je suis un mec et en partie parce que je ne suis pas une femme, en conséquence de quoi il il a beaucoup de choses sur comment les femmes vivent ce monde qui vont me passer complètement au-dessus. Donc même si je me considère comme un féministe et que je soutiens l’idée que les femmes devraient avoir les mêmes droits, opportunités et attentes que les hommes, je suis aussi conscient qu’il y a pleins de choses de la vie des femmes que je manque complètement et cela veux dire que je dirais ou ferais forcément quelque chose de stupide et que les gens diront « Ouh là, je pensais que vous vous disiez féministe et voilà que vous faites cette chose stupide, comment vous l’expliquez ? ». Parce que je suis une personne imparfaite.

 

Et donc, je dirais aux gens, parce que de temps en temps, je vais quelque part et on me dit « merci de parler pour les femmes ou pour les droits des gays et des lesbiennes et des personnes trans et d’autres. » Et je répondrais « Sachez que je suis heureux de le faire, mais qu’occasionnellement je passerai pour un con et ferai des erreurs. Tant qu’on est d’accord là dessus, ça va. » Donc oui, je me considère comme féministe. Je veux dire, vous savez, c’est seulement de la logique. Nous sommes tous humains et nous devrions avoir les mêmes droits et opportunités.

 

Il y aura toujours un groupe de personnes odieuses et bruyantes qui feront : « Va dans la cuisine, fais-moi un sandwich !" Ou encore : « les femmes ne peuvent pas écrire ce genre de fiction ». Un, ils sont idiots. Mais deux, c’est même impossible de supporter cela. Je veux dire, il n’y a pas de preuve. Tout ce qu’un homme peut faire, une femme le peut.

 

Je crée un univers où le féminisme a gagné.

 

La façon dont je travaille là-dessus c’est que j’écris juste le livre et tu le sais bien (pointe son traducteur Mikaël Cabon), j’ai beaucoup de personnages, avec plus ou moins de parité : 50 % qui parleront pour les femmes et agiront de façon morale. Je donne des positions de pouvoir à des femmes sans en faire toute une histoire du genre « Regardez, c’est une femme au pouvoir ! ». Non, elle est juste au pouvoir. Je crée un univers où le féminisme a gagné et où les femmes ont les mêmes droits, obligations et opportunités que les hommes. Parce que je pense que c’est vers cela que nous devrions aller et que je pense que c’est vers là que l’on ira dans le futur. Et plus encore, en l’écrivant et en le présentant sans en faire tout un plat, en disant seulement que c’est comme cela que ça se passe dans cet univers, et en laissant les gens l’appréhender sur ces bases, cela fait beaucoup de bien.

 

Dans la série The Interdependencies avec The Collapsing Empire et The Consuming Fire… Quand ils sortiront en France, vous verrez que deux des trois personnages principaux sont des femmes et d’ailleurs, dans The Collapsing Empire la plupart des personnes qui fournissent un effort sont aussi des femmes et je ne fais pas tout un plat de cela. Tor (Tor Books, maison d’édition américaine) n’en fait pas tout un plat et je suis sûr que l’Atalante n’en fait pas tout un plat. On se contente de dire que c’est de la bonne science-fiction et les gens lisent le livre et ça leur plaît et ils rentrent dedans dès le début et ils sont genre « ouais, c’est un bon bouquin. » Donc c’est comme ça que c’est fait, juste en présentant la chose comme une affaire classée. Nous sommes dans cet univers où le féminisme a gagné. Et parce que le féminisme a gagné, on a bien plus d’opportunités d’avoir de meilleurs personnages faisant des tas de choses intéressantes plutôt que juste « un mec, un mec, un mec... »

 

Donc, ce que je veux dire, c’est que c’est de cette façon que je m’y prends. Je ne veux même pas imaginer que ce serait ma place d’être à la tête de la parade ou sur le podium féministe. Ce n’est pas mon travail. Mais mon travail est de me tenir aux côtés de femmes créatrices, de femmes en général et de les présenter comme je les vois : complètement égales.

 

SSA - OK, parfait !

 

J.S - OK génial ! J’ai passé ce test !  (rires)

 

 

                                    Je veux le gars qui vole en élasthanne…

 

 

SSA - Une dernière question, est-ce qu’il y a des films et séries que vous avez récemment appréciés ?

 

J.S - Voyons voir. J’aime beaucoup The Good Place. C’est très drôle. Et j’ai un diplôme de philosophie, je suis allée en fac de philosophie et donc, quand ils commencent à parler philosophie, c’est un peu « J’ai étudié ça ! » Donc c’est ce que j’ai principalement regardé récemment.

 

Pour les films, j’ai surtout regardé des films de super-héros, vous voyez ? C’est amusant.

 

En fait, je l’explique comme ça aux gens : j’écris beaucoup tous les jours et je réfléchis beaucoup, je planifie, j’essaie de voir comment les personnages interagissent entre eux et j’essaie d’écrire les 80 000 mots qu’il faut pour un roman. Donc, quand vient le temps de regarder quelque chose, de me reposer et de mettre une série ou de jouer à un jeu vidéo, je ne vais pas vers les trucs compliqués parce que mon cerveau me fait déjà assez mal. Je vais écrire cinq heures d’affilée et à l’idée de regarder un film où les gens sont déprimés tout le temps, je dis non, je veux le gars qui vole en élasthanne…

 

Donc je regarde beaucoup de films d’action, de super-héros, des comédies, ce que j’aime beaucoup. Et quand je joue à des jeux vidéo, je joue plutôt à des jeux de tir à la première personne, du genre « pan, pan, pan » (mime les tirs), parce que ce sont des vacances pour mon cerveau. En fait, j’aimerais dire que je regarde toutes ces choses intelligentes, mais je regarde juste Star Wars et des films de super-héros, comme tout le monde. (rires)

 

Et il n’y a rien de mal à ça. C’est bien de pouvoir être diverti et je pense que les films de super-héros de maintenant sont généralement bien meilleurs que ce qu’ils étaient quand j’étais enfant. Mais bon, c’est toujours une de ces choses où on est genre « Urgh, des gens beaux qui se battent contre des monstres… OK, c’est cool. »

 

Par Illogical Logic.

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