Lors du festival des Utopiales 2018, à Nantes, nous avons également eu l'honneur de rencontrer l’auteur américain Jim C. Hines. Connu en France pour ses séries fantasy "Le Gobelin" et "Magie ex-libris", publiées chez l'Atalante, il apparaît aussi au catalogue de Castelmore, éditeur de la série "Princesses Mais Pas Trop", qui redonne un rôle actif aux princesses de contes de fées. Tout droit sortis de son imagination, ces livres s'amusent pourtant beaucoup du folklore et de la pop-culture américaine et regorgent aussi de références à toutes sortes de franchises cinématographiques.
SSA - Vous avez publié une saga young adult, The Princess Series, dont tous les personnages sont des femmes avec des fortes personnalités, loin de l’habituelle princesse de contes de fées. Diriez-vous de ces romans qu’ils sont féministes et vous diriez-vous féministe ?
J.C.H. - Je dirais que je suis féministe, mais je ne me disputerai pas avec les gens qui pensent différemment. Pour moi, être féministe, c’est penser que les femmes et les hommes devraient être égaux, qu’il devrait y avoir une justice et un équilibre. Pas juste le croire, mais agir pour que ça se réalise. Par cette définition, oui, je suis féministe. Quant aux livres, probablement, oui. Je voulais surtout écrire des livres divertissants. Quand elle était beaucoup plus jeune, ma fille s’est trouvée dans sa période « princesses ».Elle regardait des films de princesses, réclamait des jouets de princesses, et la plupart de ces personnages étaient très passifs. Ces princesses se faisaient simplement secourir… C’est en réponse à ça que j’ai aussi écrit ces livres, pour permettre aux princesses de se sauver toutes seules, d’avoir leurs propres histoires, d’en être responsables. Ce qui, de nos jours, est féministe, je crois, mais ne devrait pas l’être. Tout le monde devrait avoir sa propre histoire. Certaines de mes critiques préférées sur ces livres viennent de temps en temps de chroniqueurs qui disent « Mais où sont tous les hommes ? ». (En français:) Je ne sais pas !
SSA - Dans tous les autres livres, peut-être ?
J.C.H. - Exactement, oui. Wow, ce que ça doit être de lire un livre entier sans que personne de votre genre ne fasse vraiment quoi que ce soit ! C’est atroce !
Plus on écrit en s'éloignant de nous-même, plus on a de
responsabilités.
SSA - Est-ce que c’est plus difficile d’écrire sur les femmes quand on est un homme ?
J.C.H. - C’est une autre bonne question. Peut-être ? Chaque fois qu’on écrit en-dehors de nous-même, ça demande plus d’efforts, de recherches plus on s’en éloigne. Écrire quelqu’un d’un genre différent, d’une race différente, d’une sexualité ou de croyances religieuses différentes… C’est plus de travail et plus de responsabilités. Plus d’écoute, je crois que ça en fait partie. Parler aux autres, les écouter, pas seulement écrire une bande de femmes qui se comportent comme des hommes. Les laisser être leur propre personnage.
SSA - Quel roman recommanderiez-vous pour se familiariser avec votre travail ?
J.C.H. - Je peux répondre « tous » ? Mais ce serait de la triche. En français, probablement le premier Magie Ex-Libris, Le Bibliomancien. En anglais, ce serait aussi un bon point de départ. J’ai essayé de m’amuser avec ce livre, c’est une grande partie de mon écriture. Il y a de nombreux personnages que j’aime beaucoup, du genre que j’aime écrire. Et, c’est un livre très sympa, qui parle de magie et de lecture, et de l’amour des livres et littéralement de la magie des livres. Et puis, il y a une araignée qui met le feu partout. Qui n’aimerait pas ça ?
J'admire beaucoup Nnedi Okorafor pour son imagination et sa
créativité.
SSA - Dans les livres que nous avons lus et particulièrement dans Magie ex-Libris, on trouve de nombreuses références culturelles, télévisuelles, cinématographiques… Quels sont les principaux contenus qui inspirent votre écriture ? Quel est votre série préférée ?
J.C.H. - Je n’ai pas particulièrement de préférés en ce moment, j’essaye de lire beaucoup et tout ce que je lis m’influence en quelque sorte, me fait penser à de nouvelles idées, des nouvelles possibilités. Une autrice que j’admire beaucoup pour son imagination et sa créativité est Nnedi Okorafor (lauréate du World Fantasy Award pour "Qui a peur de la mort ?", disponible en poche depuis peu). Je lis certains de ses livres et j’en sors en pensant « Oh, on peut faire ça ? Je veux essayer aussi ! »
Parmi ce que j’ai regardé récemment que je trouve distrayant… The Good Place.
Tout ce qu'écrivait Janet Kagan a beaucoup de sensibilité. Le monde a besoin de cet espoir en ce moment.
SSA - Scalzi aussi l’a cité !
J.C.H. - Ah, sois maudit, Scalzi ! Qu’est-ce que je regarde que Scalzi ne regarderait pas ? Honnêtement, je ne regarde pas tant que ça la télé. Je vois les films Star Wars et Marvel, qui sont moins inspirants et plus divertissants…
SSA - Je pense que vous avez des goûts très similaires, car il a dit la même chose !
J.C.H. - Maudit Scalzi ! Qu’y a-t-il de plus obscur… Je parie qu’il n’a pas cité Hellspark par Janet Kagan.
SSA - Non, en effet.
J.C.H. - Yes ! C’est un de mes livres préférés. Tout ce qu’écrivait Janet a beaucoup de sensibilité. Vous lisiez ses histoires, ses romans et vous vous sentiez bien. Ils me rendent heureux, me font avoir de l’espoir pour le monde… Et c’est quelque chose que j’essaie de faire dans beaucoup de mes livres. Pas tous, mais beaucoup. En partie parce que je sens que le monde en a besoin en ce moment. C’est tout ce à quoi je pense sur l’instant, je peux continuer à réfléchir ou je peux envoyer un texto à John pour qu’il me rappelle ce que je regarde d’autre ?
Nous, les gens de la SF et de la fantasy, nous avons les meilleurs jouets !
SSA - D’où vous est venue l’idée de Magie ex-Libris ? Le pouvoir de récolter des objets dans les livres, que ce soit un sabre laser ou autre chose ?
J.C.H. - Ça a commencé avec l’araignée-flamme, Titache, qui apparaissait dans la série Le Gobelin que j’avais écrite et était le personnage que tout le monde aimait dans cette trilogie, ce qui était bizarre, mais d’accord. Quelques années plus tard lors d’une convention aux États-Unis, une éditrice m’aborda et m’annonça qu’elle voulait que j’écrive une nouvelle sur Titache, mais elle souhaitait qu’elle se passe de nos jours, pour s’inscrire dans cette anthologie composée de nouvelles contemporaines. Et, bien sûr, j’ai dit d’accord avant de me demander « Comment je fais ça, comment je fais venir Titache de ces livres jusqu’à nous ? ». J’ai fini par décider « Faisons littéralement ça, inventons une sorte de magie qui fait que les personnages peuvent entrer dans un livre et y attraper une araignée ». Et nous avions le début de notre histoire. Donc j’ai écrit la nouvelle, c’était très fun. Le protagoniste s’appelait Isaac, mais il était très différent de celui des livres. Il était plus vieux, un peu amer et au bout du rouleau. Mais j’aimais l’histoire et j’aimais l’idée. Il y avait tellement de choses avec lesquelles jouer ! En particulier nous, les gens de la SF et de la fantasy, nous avons les meilleurs jouets ! Donc j’ai fini d’écrire les Princesses et j’ai pensé « OK, qu’est-ce que je fais ensuite ? ». J’ai repensé à cette nouvelle. Je pouvais l’étoffer, je pouvais écrire davantage, m’amuser encore. C’est de là que c’est parti. Et vraiment, beaucoup de ces livres, c’est moi qui m’amuse avec les possibilités. Qu’est-ce qu’on peut faire de plus avec cette magie, dans quels autres livres on pourrait puiser ?
Il y a eu une réunion avec Dreamworks pour adapter le Gobelin, mais c'était trop proche de Shrek.
SSA - Avez-vous déjà été approché pour l’adaptation d’un de vos livres à l’écran ? Aimeriez-vous que ça arrive ?
J.C.H. - J’adorerais que ça arrive ! Quiconque veut me le proposer peut aller sur mon site web, il y a une page contact, envoyez-moi un e-mail ! La fois où ça a failli se faire, c’était quand Dreamworks Studios s’intéressait au Gobelin. Je ne sais pas à quel stade du processus c’est arrivé. Nous n’avons jamais reçu d’option. Mais je sais qu’il y a eu une réunion. Ils en ont parlé et ont décidé que c’était trop proche de Shrek, trop similaire dans le ton, trop créature fantastique qui devient le héros. J’ai été déçu et dans un autre livre, j’ai tué tous les ogres.
SSA - Pour vous venger ?
J.C.H. - Un peu, oui. C’est tout ce qu’on a eu comme opportunité pour l’instant. Mais j’adorerais voir un de ces livres adapté. Pour les Princesses, je ne suis pas sûr du meilleur format pour l’adapter, mais oui, je serais excité quoi qu’il en soit. Je pense que le Gobelin serait le plus adaptable. Mais je peux me tromper. Je ne fais pas de films, je ne m’y connais pas assez. Mais je pense que le Gobelin fonctionnerait vraiment bien en animation.
Mon vœu, ce serait que les studios Ghibli adaptent mon livre en cours...
SSA - Une adaptation fidèle ou pas ?
J.C.H. - Je ne pense pas que ça me gênerait. L’histoire est là, le livre est là, le film peut être l’histoire de quelqu’un d’autre. Inspiré de ce que j’ai écrit, mais avec leurs idées, leur imagination. Donc s’ils veulent être plus créatifs, d'accord ! Il y a aussi un livre que j’ai écrit mais qui n’a pas encore été publié. Tout au long de l’écriture, je ne pouvais m’empêcher de penser que si un génie m’accordait un vœu, ce serait que les studios Ghibli adaptent ce livre. Je ne peux pas trop en parler, ce n’est pas fini, je dois réécrire quelques passages… Mais il y a ce style imaginatif et merveilleux… Peut-être un jour !
SSA - Nous l’espérons !